Le mélanome est un cancer de la peau développé aux dépens des mélanocytes, ces cellules qui font le pigment de la peau. Cancer aux facteurs de risques évitables, il est pourtant l’un des cancers dont l’incidence a le plus augmenté entre 2010 et 2018. Principalement lié aux expositions au soleil, et à ses rayons UV, le nombre de mélanomes (15 500 cas estimés en 2018) a augmenté de 4 % par an chez l’homme depuis 1990, de 2,7 % par an chez la femme sur la même période.
Ce cancer qui tue chaque année plus de 1700 personnes, a fait l’objet tout au long du mois de mai d’une campagne d’information par la Fondation pour la recherche médicale. Le Pr. Caroline Robert, chef du service de dermatologie de l’hôpital Gustave-Roussy à Villejuif et co-directrice de l’équipe de recherche sur le mélanome à l’Inserm, a répondu à nos questions.
Contre le mélanome, que peut-on faire individuellement pour se protéger ?
Caroline Robert : La prévention primaire consiste à essayer de diminuer le risque de développer un mélanome. Le principal facteur de risques sur lequel on peut agir c’est évidemment le soleil et ses rayons ultraviolets. Les coups de soleil peuvent être à l’origine de mélanomes, surtout lorsqu’on est sujet à risque, c’est-à-dire qu’on a la peau claire, les yeux clairs, les cheveux blonds ou roux. Les autres facteurs de risques sont des facteurs de risques intrinsèques, génétiques, visibles comme la peau claire, ou non visibles et sur lesquels on ne peut pas agir.
La prévention secondaire est le fait de savoir reconnaître rapidement un mélanome qui apparaît : une lésion qui ressemble à un grain de beauté bizarre. Les mélanomes apparaissent soit sur une peau saine (70 à 80 % des cas selon l’Institut national du cancer, ndlr) soit par la transformation d’un grain de beauté (groupement de mélanocytes bénins) en mélanome.
Comment reconnaître un mélanome ?
Le “grain de beauté” change et il grossit car un mélanome s’y développe. Si le mélanome survient sur une peau saine, la lésion ressemble alors à un grain de beauté bizarre.
Il faut être attentif à cinq critères : A comme asymétrie, B comme bords irréguliers, C comme couleur inhomogène, D comme Diamètre supérieur à 6 millimètres, E comme Evolution de la lésion. C’est le fameux ABCDE du mélanome qui peut aider à reconnaître les signes précoces d’un mélanome.
L’évolution est le critère le plus important. Il peut s’agir de tout changement de couleurs, de forme, de relief, de contours… Je conseille fortement aux personnes qui ont la peau claire, surtout s’ils ont beaucoup pris le soleil et/ou si il y a une histoire familiale de mélanome, de régulièrement regarder leur peau et d’avoir le réflexe de se prendre en photo afin de pouvoir documenter d’éventuelles modifications.
En cas de doute, vous conseillez de consulter tout de suite un spécialiste ?
Bien sûr, il faut consulter son dermatologue ou, si le rendez-vous auprès du dermatologue ne peut être obtenu rapidement, de consulter son médecin traitant si on constate une évolution rapide sur un grain de beauté ou l’apparition d’une lésion suspecte. Il faut surtout que chacun soit conscient de son niveau de risque vis-à-vis du mélanome, et sache se regarder et surveiller sa peau.
Appliquer régulièrement de la crème solaire si on s’expose au soleil, cela suffit-il à se protéger ?
Il faut utiliser une crème solaire qui présente au moins un indice 30 et protectrice vis-à-vis des UVA et B. Aujourd’hui, les produits solaires sont très contrôlés et sont en général efficaces si on les applique correctement. Le problème, c’est qu’on ne les applique jamais correctement ! On “rate” de nombreux endroits en l’étalant. Et on met en moyenne un quart de la quantité utilisée pour calculer l’indice de protection de la crème. Donc, certains endroits ne sont pas protégés et on peut diviser alors l’indice par 4.
La meilleure protection est vestimentaire et il faudrait ne pas chercher absolument à bronzer. Bien sûr on peut se découvrir pour aller se baigner, prendre l’air, on met de la crème qu’on réapplique très régulièrement pour diminuer le risque de zones non couvertes. Mais si on est à risque, il est préférable de remettre rapidement ses vêtements.
Les personnes à la peau claire doivent donc être tout particulièrement vigilantes ?
Oui et j’insiste aussi sur les risques encourus par les hommes chauves ou dont le cuir chevelu est clairsemé. Ils accumulent des doses importantes de rayons ultra-violets et développent au fil des années des carcinomes – les plus fréquents des cancers de la peau, moins graves que des mélanomes, mais ils augmentent aussi le risque de mélanome sur le cuir chevelu.
Un mélanome évolue assez vite. Une fois qu’on l’a découvert, s’agit-il d’une intervention en urgence ?
Une fois qu’on voit une lésion suspecte, oui, il est préférable de ne pas trop attendre pour l’enlever. Je dirais qu’il faut retirer la lésion dans les quelques semaines qui suivent. Mais, le problème du cancer c’est qu’il y a des risques de récidive même après qu’on ait enlevé un mélanome. Effectivement, lorsqu’on retire un mélanome, même s’il fait un millimètre d’épaisseur, il n’est pas impossible de voir apparaître des métastases, plusieurs mois ou années après ! Ce qui signifie que les cellules de mélanome étaient là, mais elles étaient invisibles, ce sont des cellules dites “dormantes”.
En pratique, si on a prouvé qu’il s’agit d’un mélanome à l’analyse au microscope, il faut ensuite refaire une chirurgie pour enlever un peu de peau normale autour du mélanome par sécurité. Et à partir de 0,8 millimètres d’épaisseur du mélanome on propose au patient d’analyser le ganglion sentinelle, c’est-à-dire le ganglion lymphatique qui draine la zone du mélanome. En cas de présence de cellules de mélanome dans ce ganglion, on propose un traitement adjuvant pendant un an, c’est-à-dire un traitement préventif pour diminuer le risque de récidive.
Que pensez-vous des applications (SkinVision, SkinScan, MoleScope…) pour s’auto-diagnostiquer ou observer sa peau ?
Gustave Roussy a développé I-Skin une application pour se photographier la peau. L’outil permet de comparer les clichés et de les montrer à son dermatologue, mais pas de poser des diagnostics.
Je ne connais pas les autres applications mais tout cela me semble aller dans le bon sens. Est-ce que cela fait prendre conscience du risque ou est-ce que cela décharge du risque ? C’est ce qu’il faut évaluer. Car je le répète, il faut que les gens se prennent en charge et soient éduqués par rapport à leurs propres risques. C’est leur peau, leur vie, leur santé. Observez votre peau, prenez des photos, et ne vous en remettez pas uniquement aux professionnels.
Dans la recherche contre le mélanome, le vaccin personnalisé s’affiche comme l’une des avancées majeures. Comment ça marche et qu’en pensez-vous ?
Les vaccins personnalisés sont encore en développement clinique. Comme tous les cancers, les mélanomes expriment des antigènes, plus ou moins spécifiques à ce cancer. On essaie donc de développer des vaccins qui seraient dirigés contre ce qui est propre au cancer uniquement. Il s’agit de stimuler le système immunitaire pour qu’il n’attaque que le cancer et pas les cellules normales.
Par ailleurs, même s’il s’agit d’un même cancer, d’un patient à l’autre, le mélanome n’exprimera pas les mêmes antigènes. Les cellules cancéreuses présentent de nombreuses mutations, à la faveur de ces mutations, elles expriment des protéines que le système immunitaire peut reconnaître comme étrangères. On les appelle les “néo-antigènes”, de très bonnes cibles théoriques pour les vaccins, c’est pourquoi on parle de vaccin personnalisé. C’est une approche prometteuse mais qui n’est pas encore au point et il est encore très long de développer un tel vaccin pour chaque patient
Actuellement quels sont les traitements à disposition ?
Le mélanome débutant, on le retire et on le surveille. S’il y a des métastases ganglionnaires, on peut aussi les retirer et proposer un traitement adjuvant systémique pendant un an. Pour des métastases à distance, on donne un traitement systémique. Il s’agit, soit de l’immunothérapie qui permet de stimuler le système immunitaire – un véritable progrès dans la prise en charge du mélanome mais aussi de nombreux autres cancers.
L’autre traitement est une thérapie ciblée. Je m’explique : la moitié des mélanomes présente une mutation bien spécifique, la mutation de BRAF, un gène muté, à l’origine d’une protéine mutée très importante dans la genèse du cancer. Avec ce traitement, on bloque l’activité de cette protéine mutante oncogène.
Pour ces deux traitements, des résistances se développent malheureusement chez la majorité des malades, mais ils permettent d’améliorer significativement leur espérance de vie. Avant ces traitements développés ces dix dernières années, l’espérance de vie des patients avec mélanome métastatique était de un an en moyenne. Aujourd’hui, la moitié des patients sont encore vivants après 5 ans. C’est bien mieux, mais, cela doit encore s’améliorer.
Peut-on guérir véritablement d’un mélanome ?
Bien sûr ! La majorité des mélanomes sont retirés au stade cutané et les patients sont guéris même s’ils doivent être surveillés. Cela représente près de 80 % des cas. Les patients métastatiques, au niveau régional (ganglions proches du mélanome), sont également opérés et ont de bonnes chances de guérir. Et on peut donner aujourd’hui des traitements préventifs de récidive, les adjuvants. Pour les autres, présentant des métastases à distance, avec les traitements nouveaux (immunothérapie ou thérapies ciblées), un peu moins de 20 % des patients obtiennent des rémissions complètes et n’ont toujours pas récidivé à 5 ans. On l’espère fortement, mais on n’a pas assez de recul sur les traitements pour affirmer qu’ils sont guéris.
Sources :
- Interview Pr Caroline Robert, Chef du service de dermatologie de l’hôpital Gustave-Roussy à Villejuif (mai 2021)
- Santé Publique France, Incidence et mortalité des cancers (2019)