Des neuro-ingénieurs ont développé un dispositif pour soigner les douleurs chroniques du dos, sans en passer par une chirurgie invasive mais en restant très efficace.
Les dispositifs de stimulation passant par la moelle épinière sont d’une grande utilité aux personnes souffrant de maux chroniques au dos qui ne peuvent être soignées autrement. Il s’agit d’un dernier recours lorsque la douleur est insupportable, ne permettant plus une vie normale, même avec des anti-inflammatoires. La thérapie de neurostimulation consiste à implanter des électrodes dans la moelle épinière, lesquels vont envoyer des impulsions électriques très légères qui brouillent les signaux de douleur envoyés au cerveau. Cela réduit considérablement la douleur ressentie.
Le problème de cette thérapie est son caractère invasif. Sous anesthésie générale, les électrodes doivent être insérées directement dans la colonne vertébrale, au niveau de la dure-mère (les pachyméninges) qui entoure les cellules nerveuses. Il faut alors retirer un petit bout de vertèbre.
Résultat, il est très difficile de populariser ce dispositif auprès de celles et ceux qui en ont besoin — seules 50 000 opérations sont comptabilisées chaque année. Et s’il y avait une solution ? Dans des travaux publiés dans Science Advances le 25 juin 2021, des scientifiques spécialisés en neuroingénierie présentent une innovation au potentiel révolutionnaire : un implant minuscule et gonflable dédié à la moelle épinière. Avec cet implant, il n’y a pas besoin de chirurgie invasive.
La fusion entre deux méthodes jusqu’ici imparfaites
Le dispositif développé par cette équipe est particulièrement fin, soit environ l’épaisseur d’un cheveu. Il peut donc être enroulé sous la forme d’un minuscule cylindre, qui s’insère ensuite dans la fente d’une aiguille. Ainsi, avec une simple « piqûre » dans l’espace épidural de la colonne vertébrale — sous anesthésie locale — on peut injecter l’implant dans la moelle épinière. Une fois placé, il peut être gonflé avec de l’eau ou de l’air, ce qui lui permet de se déployer. Connecté à un générateur externe, l’implant enverra des signaux électriques comme les électrodes.
La technique d’injection via une aiguille existait déjà, mais sous une forme moins efficace. Cette méthode couvrait jusqu’ici une zone très petite et n’était pas suffisamment efficace pour couper réellement la douleur. D’où l’idée de rassembler ces deux types de dispositifs imparfaits — l’un très efficace mais invasif, l’autre peu efficace mais léger.
L’innovation publiée dans Science Advances est un bijou biotechnologique, qui accomplit la fusion des deux voies. « Notre objectif était de fabriquer quelque chose qui soit le meilleur de ces deux mondes — un dispositif cliniquement efficace mais qui ne nécessite pas d’intervention chirurgicale complexe et risquée. Cela pourrait permettre à un plus grand nombre de personnes de bénéficier de cette option thérapeutique qui change la vie », explique le docteur Christopher Proctor sur le site de l’université de Cambridge.
Tout l’enjeu résidait dans la taille de l’implant, qui fait finalement 60 microns (0,06 millimètre). Pour y parvenir, les scientifiques ont combiné des composants électroniques flexibles comme ceux utilisés dans l’industrie des semi-conducteurs ainsi que des matériaux utilisés en robotique molle car capables de changer de forme. Pour que l’implant puisse se déployer une fois qu’il est implanté par une aiguille, on y trouve aussi de tout petits canaux à microfluides.
Et c’est une réussite. Lors des premiers tests, le dispositif était même si fin qu’il n’était pas visible aux rayons X : les chercheurs ont alors ajouté des particules de bismuth (un élément chimique) pour que les chirurgiens puissent suivre facilement l’évolution de l’implantation.
Vers une démocratisation de ces dispositifs ?
L’étude a eu lieu à partir d’un modèle in vitro sur un modèle de colonne vertébrale. Les résultats ont ensuite été validés sur des cadavres humains — qui sont légalement donnés à la médecine pour ce type d’expérimentations. Les auteurs espèrent démarrer les premières opérations avec de vrais patients d’ici deux ou trois ans.
Les perspectives de commercialisation sont déjà prêtes : Cambridge Enterprise, la filière commerciale de l’université de Cambridge, a breveté le dispositif. « Cette technologie a le potentiel de transformer le traitement clinique, d’améliorer considérablement la gestion de la douleur pour un très grand nombre de personnes, et d’être accessible à des patients qui ne peuvent pas être traités avec les dispositifs existants », développe le responsable commercial de Cambridge.
Les auteurs de l’étude espèrent également améliorer cet implant biotechnologique et même étendre ses capacités. Le dispositif est conçu pour être évolutif, ce qui permettrait d’y ajouter des électrodes, de l’agrandir. Pour ces scientifiques, il s’agit là d’un « traitement potentiel de la paralysie consécutive à une lésion de la moelle épinière ou à un accident vasculaire cérébral, ou des troubles du mouvement tels que la maladie de Parkinson ».